«Si l’on ne construit pas davantage, tout le monde y perd»

Le marché immobilier suisse est dans l’impasse, alerte Alain Lapaire, directeur de la Division immobilier de Retraites Populaires. Si la densification urbaine est inscrite dans la loi, sa mise en œuvre sur le terrain se heurte à des résistances croissantes. Un paradoxe qui gèle l’offre de logements et affecte bien au-delà du secteur. Décryptage.

Une volonté sur le papier, un blocage sur le terrain. Depuis la révision de la loi sur l’aménagement du territoire (LAT), la densification des zones urbaines est devenue une priorité légale, destinée à freiner l’étalement et préserver les sols. Mais entre théorie et réalité, un fossé persiste: les projets de construction ou de rénovation sont systématiquement contestés. Ce climat de défiance paralyse le développement immobilier et freine la croissance démographique et économique du pays. Alain Lapaire revient sur les implications de cette situation.

Cité21: Quel regard portez-vous sur l’état actuel du marché immobilier en Suisse?

Alain Lapaire: Le secteur traverse une période très paradoxale. La législation encourage clairement la densification, que ce soit par de nouvelles constructions ou des rénovations avec surélévations. Ce développement raisonné vise à limiter l’extension hors zones urbanisées. Pourtant, sur le terrain, chaque projet ou presque déclenche des oppositions systématiques. Cela entraîne des lenteurs considérables, voire des abandons, ce qui paralyse l’ensemble du secteur.

Jusqu’à quel point peut-on parler d’impasse?

Lorsque l’on ne peut construire ni rapidement ni en quantité suffisante, la conséquence est directe: une pénurie de logements persistante. Cette rareté alimente la hausse des loyers. Et même lorsque des projets aboutissent, ils sont souvent réduits en taille pour éviter les oppositions, devenant inadaptés aux besoins réels. Ces compromis, qui diminuent la rentabilité des investissements, se répercutent sur les loyers des futurs logements. Résultat : des prix qui restent élevés, avec de fortes disparités selon les régions.

Au-delà de la hausse des loyers, quelles autres répercussions cette situation entraîne-t-elle?

La rareté de logements abordables dans les centres urbains pousse de nombreux habitants à s’installer plus loin, à la campagne ou dans des cantons moins chers. Cela engendre une forte hausse de la mobilité quotidienne, avec plus de voitures sur les routes et des réseaux de transport saturés.

Un autre effet est le blocage des logements familiaux sous-occupés. De nombreux seniors, devenus seuls dans de grands logements peu adaptés à leur situation, préfèrent y rester, car le loyer est avantageux et les alternatives manquent. Ce phénomène empêche de jeunes familles d’accéder à ces logements pourtant disponibles sur le papier.

Et du point de vue de l’économie?

Cela impacte directement l’attractivité économique du pays. De nombreux secteurs en tension – soins, construction, hôtellerie, restauration – dépendent d’une main-d’œuvre étrangère. Mais si ces professionnels ne trouvent pas de logements accessibles près de leur emploi, ils renoncent à s’installer durablement en Suisse. À terme, cela freine notre dynamisme économique.

Comment sortir de cette impasse?

Un effort doit être fait pour mieux communiquer avec la population. Les maîtres d’ouvrage doivent anticiper les résistances en présentant des projets de qualité, bien intégrés, et en impliquant les riverains dès les premières étapes. Il est aussi nécessaire de simplifier les procédures administratives, souvent trop lourdes.

Un bon exemple est le projet immobilier de Cheseaux-sur-Lausanne, co-détenu par la CPEV, la CIP et Retraites Populaires. Entre le lancement des discussions en 2018 et l’achèvement des travaux cette année, moins de cinq ans se sont écoulés – un délai exceptionnel en Suisse. Cette réussite repose sur un dialogue continu avec les habitants, un engagement de la commune, une architecture adaptée aux besoins, et une localisation stratégique à proximité de la gare. Résultat : les logements ont rapidement trouvé preneur.

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